Bernard Dorival
Bernard Dorival
Bernard Dorival
Ancien Conservateur en chef du Musée National d’Art Moderne
Professeur à l’Ecole du Louvre et à l’Université de Paris Sorbonne
Paris, le 1er janvier 2000
Mon cher Lad,
VOILA TOUT JUSTE UN DEMI SIECLE QUE J’AI FAIT TA CONNAISSANCE. Tu étais tout jeune alors et je n’étais pas encore vieux. J’étais venu depuis ma résidence de vacances jusqu’au plateau d’Assy pour y rencontrer notre ami MAROIS. C’est lui qui eut l’idée de me conduire à toi.
Tu vivais parmi des gens de qualité, les DEGEORGES, les TOBE, les DORMEUIL, sans oublier l’admirable chanoine DEVEMY qui te procura ta première occasion de donner ta mesure de peintre. Ce fut cette Cène de la crypte de Notre-Dame de toute-Grâce où, avec la naïveté et l’inconscience de tes vingt ans, tu bouleversas l’iconographie traditionnelle au profit d’une iconographie nouvelle et poignante. Plus tard, j’eus l’occasion de rencontrer dans le bassin houiller du Pas-de-Calais, ta mère dont j’admirais la foi qu’elle avait en toi – une foi que partage ton épouse Malou dont on ne dira jamais assez quelle aide fut et est pour toi dans ta vie d’homme et d’artiste.
Cet artiste, j’en ai suivi amicalement l’itinéraire, un itinéraire que tu as vécu sous le signe de l’indépendance. Aveugle et sourd aux mots d’ordre et aux modes, tu es un homme libre, ce qui n’est pas si fréquent dans l’art d’aujourd’hui. Tu as fait, et fais encore, la peinture que tu as besoin de faire, celle que tu te pousses à créer ta nécessité intérieure et qui en fait un long aveu, un aveu bouleversant de ton âme (permets- moi ce mot démodé maintenant; je n’en vois pas de meilleur pour caractériser ta peinture).
Cette peinture, elle a beaucoup évolué, heureusement, au cours du temps, mais elle est restée, heureusement encore, elle-même. Ce qui la définit, si je ne trompe, c’est d’abord ton geste.
Autoritaire, impérieux, impérial, il plaque sur tes supports, une matière plutôt économe avec une telle assurance que l’on ne saurait contester la force qui résulte de ce mouvement de ton poignet à ta main. C’est un fait, comme est fait ta présence. Et la seconde composante majeure de ce que tu crées, c’est la lumière, ta lumière, une lumière que tu as trouvé le moyen de multiplier par ton invention de tes papiers froissés. En effet, à froisser un papier préalablement peint, tu crées des arêtes qui laisse jouer la clarté et des creux qui restent dans la demi-pénombre. La surface de ton œuvre n’est plus que frémissement, respiration, vie, un peu comme ces montagnes du Plateau d’Assy où nous nous sommes rencontrés. Dessin, couleur, matière sont, de la sorte, soumis à la forme que tu aimes, simple et évidente, régnant sur le support, mais doublant aussi sa plasticité d’un lyrisme et, mieux encore, d’une spiritualité qui font que ta peinture, expression totale de toi-même, s’adresse à la totalité de ton spectateur et fait vibrer en lui toutes ses fibres les plus intimes. Ton art est dialogue, et c’est assez pour que chacun l’admire et l’aime.
Bravo, Lad, et à bientôt. Tu sais mon amitié.
Source : catalogue de la rétrospective Kijno au Musée Russe d’Etat Russe de Saint-Pétersbourg, 2006, Palace Editions