Catalogue raisonné KIJNO

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Jean-Pierre Mohen

Jean-Pierre Mohen

Jean-Pierre Mohen

Conservateur Général du Patrimoine – Directeur du département du Patrimoine et des collections du Musée des Arts premiers – Quai Branly, Paris.

Directeur de l’Unité Mixte de Recherche (UMR) 171 du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) Paris

Kijno a la passion des «humanités», celle de ses études d’abord puis celle de ses rencontres à travers le monde. Le terme «humanités» évoque un savoir et un comportement de haute culture et de générosité.

L’espèce humaine depuis ses origines élabore des systèmes complexes de communication, qui créent l’éveil sensible de l’individu en direction des autres êtres vivants de notre univers mouvant. Kijno est un démiurge poète qui adopte mieux que tous l’articulation des paroles nées de la combinaison du larynx, de la langue et des hémisphères cérébraux pour inventer et produire des syntaxes porteuses des messages d’amour ou de révolte, thème scientifique dont il réalise un magnifique tableau. L’écoute des effets du monde extérieur participe activement au langage comme dans la transmission divine des textes sacrés, les dialogues des philosophes, le simple échange d’onomatopée à la manière de Rimbaud le décryptage du champ des oiseaux dans la forêt d’Afrique équatoriale ou encore l’effet du peyotl chez les Tarahumaras.

Kijno a depuis toujours eu le don de cet éveil initiatique qu’il partage avec ses amis et ses proches et qu’il diffuse à travers le monde grâce à ses œuvres. Il a bénéficié dès l’adolescence, des subtilités de cette grande aventure, avec le solide héritage des «humanités», grecques et latines.

Il découvre la pensée philosophique à l’université avec des professeurs tels que Jean Grenier et Gabriel Marcel. La richesse de la correspondance qu’il entretient alors avec Paul Claudel est illustrée par un magnifique portrait du poète que Kijno réalise en 1942.
Les arts, en particulier musicaux, auxquels son père l’avait initié, se conjuguent avec une pratique de la culture classique, enrichie d’une réflexion philosophique critique sur notre monde. L’impressionnant exemple du sculpteur Germaine Richier, motive de manière décisive, l’engagement de Kijno. En 1949-50, celui-ci réalise pour la crypte de l’Eglise d’Assy (Haute-Savoie), une peinture représentant la Cène, terrible dialogue du doute entre le Christ et les apôtres, le visiteur spectateur étant pris à témoin silencieux.

L’Humanité est faite des multiples sphères culturelles et Kijno a tenu à explorer plusieurs de ces «humanités». Il visite en 1972, le Japon qui lui inspire plusieurs toiles sur Kyoto et les jardins zen. Il est invité en Chine en 1983 avec le peintre Chu Teh Chun devenus l’uns de ses grands amis. Il découvre en lui un autre humanisme, à la fois confucéen et bouddhiste. Bouddha est le thème de nombreuses œuvres en papier froissé. Son adoption spirituelle est l’objet d’une profondeur infinie qui devient un motif s’imposant jusque dans la série des femmes enceintes de l’image bouddhique, peinte en 2005 et prévue pour l’exposition au Sénat français en 2006.

En 1989, Kijno est invité par Gilles Arthur, conservateur du Musée Gauguin à Tahiti, à participer aux expérimentations de «l’atelier des Tropiques» à Tahiti.

Le choc culturel provoque la série de fulgurants hommages à Gauguin. Il retourne dans cette île régulièrement jusqu’en 1995 et il découvre les îles marquises et l’Ile de Pâques dont l’originalité des Moai, lui inspire des dessins et des toiles. C’est ce voyage qui nous a rapprochés car nous avions tous les deux été fascinés par ces marques géantes et surnaturelles des ancêtres de ce grand peuple perdu dans une petite île du Pacifique. Nous avons partagé nos expériences pascuanes dans les salons aménagés par Napoléon III dans le Château de Saint-Germain-en-Laye qui accueille le musée des Antiquités nationales, lieu des humanités paléolithiques les plus anciennes qui soient, en particulier de celles des périodes glaciaires des grottes ornées comme Lascaux où j’ai eu le privilège d’emmener Kijno et Malou visiter l’original de ce sanctuaire phare, imaginé il y a 18 000 ans.
En 1994, Kijno visitait les Inuits, au nord du Canada, avec ses amis peintres Riopelle et Chu Teh Chun, là où l’on pratique encore le baiser du nez. Autre culture, autre humaniste peut-être pas si éloigné de ceux de Lascaux si l’on compare leurs images communes de Rennes, d’ours, de loups, de sorciers?

Les humanités aux cultures éparpillées à la surface de la terre, mais aussi échelonnées sur des milliers d’années ont pour point commun l’être humain qui s’est exprimé de multiples manières, dans des styles divers, selon les relations qu’il entretenait avec la nature et avec ses semblables. Dans sa quête des humanités, Lad Kijno poursuit une «spéléologie mentale» généreuse et ouverte qui le pousse à la révolte face aux crimes de l’humanité: la guerre d’Algérie, 1962, l’enfant brulé du Vietnam; 1965, Barricades; 1968, émission radio à Paris avec Jean Genet, Angela Davis, Gilberte Rodrigue en 1977 pour la libération des dix de Wilmington. En reconnaissant le génie de chacune de ces humanités, il enrichit son regard et son écriture qui répondent aux trois interrogations de Gauguin dont il a reçu le rêve, par visions foudroyantes: à la question d’où venons-nous?, Kijno répond avec «Apocalypse de la préhistoire ou les premiers pas de l’homme» (1985) dont il peint plusieurs versions; à la question qui sommes-nous?, il répond avec les multiples hommages picturaux à ceux pour lesquels il a voulu témoigner son admiration: Germaine Richier (1957), Villon (1960), Nicolas de Staël (1962), Galilée (1963), Guillaume Apollinaire (1963-1964), Fernand Léger (1969), Angéla Davis (1971), Andrei Roublev (1973), Max Ernst (1976), Luchino Visconti (1979), Théâtre de Neruda (1980 et 1999), Gauguin (1990).

A la dernière question, où allons-nous? Kijno jette un regard inquiet, observateur de «La Terre» (1983), tableau sur papier froissé, aux couleurs multiples et contrastées, à la courbe insondable proche du cercle oriental d’infinité. Il aime alors rêver de la continuité que pourrait constituer son témoignage pictural du XX°siècle: au moment de l’inauguration du musée de préhistoire à Bougon, alors que Kijno me disait combien il était impressionné par l’art de Lascaux, je me suis permis d’ajouter alors: «vous, les peintres contemporains, vous êtes le Lascaux du monde futur».


Source: catalogue de la rétrospective Kijno au Musée Russe d’Etat Russe de Saint-Pétersbourg, 2006, Palace Editions

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administration@kijno.com

Photos des bandeaux par Alkis Voliotis, voir les photos entières