Catalogue raisonné KIJNO

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Arnaud Brejon de Lavergnée

Arnaud Brejon de Lavergnée

Arnaud Brejon de Lavergnée
Ancien Directeur du Musée d’Art de Lille – Conservateur général du Patrimoine
Directeur des Collection au Mobilier National

Kijno débute après la deuxième guerre mondiale; il a 24 ans en 1945; une espèce de grand silence suit le vacarme des cataclysmes. Pour ceux qui ont souffert de ces épreuves, l’art n’avait plus de sens, à moins d’appartenir au destin, de devenir destin au sens où Malraux allait le formuler. Pour Lad Kijno, il s’agit moins de mettre en évidence des rythmes utiles comme ceux de tout décor, de toute technique décorative que de remonter aux matrices communes du figuratif et de l’ornemental et de donner à l’art à travers elles une nouvelle respiration. La vie est son seul mot d’ordre, l’histoire et les mythes de l’humanité retiennent son attention: variations sur le Bronzes de Riace, Hommages à Andreï Roublev, Théatre de Néruda… Voici quelques-unes des filiations que Kijno créé avec des civilisations, l’Afrique, la Grèce, la Chine. Ainsi que l’a écrit Raoul-Jean Moulin, c’est là son territoire d’images sédimentaires, hors du commun de l’abstraction et de la figuration. «Parce que je peins une emblématique, écrit Lad Kijno, je travaille sur les signes que les peuples élaborent et si j’ai choisi de peindre des suites thématiques à partir d’hommes tels que Roublev et Neruda, c’est bien parce que ces hommes signifient à eux seuls des civilisations».

Kijno appartient à ses débuts à cette merveilleuse génération active dans les années 1945-1955: avec Bazaine, Lapicque, de Staël, Estève, Soulages, Poliakoff et quelques autres artistes, il a fait émerger une sorte d’emblématique de la conscience. Les moyens et les fins de la peinture se retrouvaient remis en cause durant cette décennie 1945-1955; tout un chacun rappelle qu’on ne peint pas avec des concepts; on était alors dans une phase de prédictions et d’injections passionnées; il fallait être figuratif ou abstrait et reconnaître là une bifurcation décisive. Mais pour Kijno, le dilemme abstraction-figuration lui paraît aussi oiseux que celui qu’il recouvre souvent et qui est plus fastidieux encore.

La fierté d’une génération, l’exigence de soi, la traversée complète de l’abstraction caractérise son œuvre. Il est de la génération fidèle au tableau, il appartient au dernier âge de la peinture. Avec Kijno, le monde se simplifie en éléments primordiaux, l’artiste retient l’aspect énergétique des choses, il fait sienne cette philosophie: on ne peint pas ce qu’on voit, mais le choc qu’on a reçu. Kijno, – faut-il le répéter – balaie d’un revers de main ce faux débat tradition-modernité, le tableau n’est pas un exercice intellectuel, mais un engagement total. Il s’agit d’activer la toile pour qu’elle réponde à l’exigence intérieure et donc la stimule. Dans cette tension de la lucidité et de l’impatience, la peinture est capable de recueillir et de promulguer l’intensité même du vécu. La singularité de son génie est d’adhérer aussi nécessairement à la culture qu’à l’instinct, d’être et de vouloir être à la fois le plus raffiné et le plus sauvage. L’objet disparaît dans un espace de tensions brûlantes; comme de Staël, Kijno tenait depuis longtemps déjà à la composition verticale et frontale qui permet au tableau d’exercer comme une pesée franche et majestueuse. Il rend toute leur force aux axes simples de l’espace, aux articulations premières du réel. Le tableau embrasse d’emblée un total où interviennent des masses nettes, des silhouettes vivement découpées.

Kijno enfin nous frappe par cette hantise de l’absolu ou du sacré (et non du divin). Son art incarne le besoin d’approuver le rayonnement du réel ou plutôt la conscience d’une espèce d’obligation à célébrer un merveilleux présent et caché.


Source: catalogue de la rétrospective Kijno au Musée Russe d’Etat Russe de Saint-Pétersbourg, 2006, Palace Editions

Contact

administration@kijno.com

Photos des bandeaux par Alkis Voliotis, voir les photos entières